Comment aborder l’un des premiers crimes contre l’humanité, dans lequel Nantes eut une part prépondérante en France, lorsque l’immense part des témoignages recueillis dans ses murs ressortissent aux archives commerciales, administratives, culturelles ou à l’art de vivre de ceux qui en tirèrent profit ? Une des qualités du parcours de l’exposition « L’abîme », du Musée d’histoire de Nantes au Château des ducs jusqu’au 19 juin, est de les organiser, avec intelligence et sensibilité, en autant de pièces d’accusation d’un système. D’ouverture de comptoirs vers l’Afrique et l’Orient en premières colonies aux « Amériques ». De concurrence entre puissances européennes en accords de commerce avec certains royaumes africains... Autant de rouages de la sauvage accumulation primitive de capital de la première mondialisation.

S’il faut attendre les années 1700 pour voir s’envoler la traite d’êtres humains, à tout seigneur, tout déshonneur, un grand portrait en pied du sieur Gratien Libault de la Chevasnerie, échevin et futur maire de la ville, témoigne d’un précurseur qui lança ses navires dès 1657. Au siècle suivant, l’enrichissement explose. Plusieurs salles rendent compte des noms, visages et de l’opulence du cadre de vie des champions locaux du « commerce triangulaire ». La peinture intègre jusqu’à la déshumanisation qui fonde leur fortune, ravalant jeunes femmes ou enfants déportés en autant d’ornements ostentatoires.

En regard, on découvrira le parcours de certains d’entre eux, débarqués sur ces bords de Loire, dont restent des prénoms imposés: Catherine, Pauline, Pierrot, Jazon... Avant de plonger dans l’enfer des cales de la Marie-Séraphique, grâce aux outils numériques, et d’autres navires négriers puis dans l’autre abîme des plantations. Viendra l’heure des révoltes en Dominique et de la première abolition, votée par la Convention... le siècle suivant verra la colonisation du monde prendre le relais.

L’expo se conclut sur l’esclavage moderne et, entre autres citations, sur ces mots du poète Édouard Glissant : « Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble ».