Un paradoxe mérite d’être posé d’emblée : dans un parc social qui accueille de plus en plus de ménages à faibles ressources, ceux-ci ont plus de difficultés à y accéder. Selon les termes législatifs définissant les objectifs de la politique publique de logement social française, la mission du parc social serait de loger de manière décente et pour un coût compatible avec leurs ressources, des ménages qui ne pourraient pas l’être dans les conditions actuelles du marché. L’État ne remplit plus cette mission.

Dans le département 44 classé en « zone tendue », avec une population qui augmente fortement, le parc social ne répond plus  aux besoins.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2001 et 2019, la demande des primo-accédants a augmenté de 71 % pour culminer à 34 005 demandes, pour une moyenne de 5 885 attributions, sur la même période (6 592 en 2019). Soit 27 413 demandes non satisfaites. Il faudrait un seuil minimum d’attributions à 10 000 pour commencer à inverser la tendance et loger les milliers de prioritaires du contingent préfectoral (1/3 de la demande globale).

Si la période 2010-2016 est marquée par une production importante de logements locatifs sociaux (18 % du parc locatif social actuel a été construit durant cette période), les années suivantes voient une stagnation et une baisse, pour atteindre son plus bas niveau en 2020 (sur Nantes Métropole, 650 logements abordables produits). La construction est en panne et le déficit se creuse.
La réforme des aides au logement a amputé les budgets des bailleurs sociaux. La Loi Elan, promulguée en octobre 2018, enclenche la marchandisation de l’ensemble de ce secteur et oblige les bailleurs sociaux à vendre les logements pour combler leurs besoins en trésorerie. Ils n’arrivent plus à entretenir un parc qui se dégrade.

La rénovation urbaine couplée à la mixité sociale (*1), certes nécessaire dans les quartiers sinistrés socialement, aggrave le déficit. Les démolitions-reconstructions enlèvent du logement «abordables» au parc actuel, car ces logements très sociaux ne sont pas compensés en intégralité.
En parallèle, l’augmentation du prix du foncier (surtout en zone tendue) et la hausse des coûts de construction engendrent des loyers plus élevés. Les bas loyers sont essentiellement dans le parc « ancien » qui diminue de plus en plus. Mécaniquement les impayés de loyers augmentent pour les ménages « modestes » et « pauvres » qui doivent se loger avec un taux d’effort trop important (aides au logement trop faibles) et s’exposent à l’expulsion.

Les gouvernements successifs ont mené des politiques incohérentes, pas assez contraignantes (loi SRU) amplifiant le non et mal logement, en laissant les collectivités locales seules pour répondre aux besoins croissants d’un habitat « bon marché ».
Une transformation profonde du modèle économique du logement social (qui est un bien commun à ne pas livrer aux marchés) reste à construire, afin de pouvoir loger dignement les populations fragilisées par une crise sanitaire et sociale.

(*1) Plusieurs études montrent que la déconnexion croissante, entre l’offre de logement social produite et la demande, est encouragée par les pouvoirs publics à travers une injonction à la mixité sociale. De plus en plus de communes privilégient la construction d’habitat dit « intermédiaire » évinçant de fait les ménages les plus pauvres.
Philippe GALLIS