Force est de constater une anomie générale de la grande majorité des citoyens. Et les grands mouvements de révolte, hier la « Nuit debout » et les Gilets jaunes, demain le 10 septembre, se veulent au départ « apolitiques », traduisant une défiance généralisée envers les partis et l’ensemble des institutions politiques. 
C’est un facteur d’échec : le temps que le mouvement se structure et avec lui ses revendications, l’épuisement est là. Comment en est-on arrivé là ?

L’autrice pointe un processus historique entamé dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Pour Locke (1632-1704), l’individu est, de droit divin, propriétaire de lui-même et des fruits de son travail, fondé à défendre cette propriété, socle de sa liberté, face à l’État absolutiste de l’époque. En même temps que le capitalisme se développe, ce libéralisme classique va évoluer, via des auteurs comme Adam Smith (1723-1790) et sa « main invisible », vers l’ultralibéralisme d’un Friedrich Hayek (1899-1992) ou d’un Milton Friedman (1912-2006).

Le capitalisme ultralibéral a écarté, puis affaibli, et enfin phagocyté l’État. Des politiques publiques à l’Éducation, tout doit être aligné sur l’intérêt du capital. Celui-ci s’accommode maintenant fort bien d’un État fort et répressif. Friedman et Hayek n’ont-ils pas soutenu le général Pinochet ?

Dans le même temps, de citoyens jouissant d’une liberté historiquement construite, l’ultralibéralisme a fait de nous des individus amnésiques, des isolats dont la liberté serait « innée » et dans les faits limitée à la capacité de produire et de consommer. Il a transformé la Cité en espace marchand, dont une part croissante de la population est en voie de déclassement, voire d’exclusion. L’extrême droite aux solutions « simples » fait son miel de cette frustration. Dès lors, « que faire » ?

La Manufacture de l’homme apolitique, Caëla Gillespie, (éd. Les Liens qui libèrent) 18,00 €