Le conflit opposant l’armée fédérale éthiopienne aux rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) connaît une accélération dramatique quasiment deux ans jour, pour jour, après son déclenchement. Le 4 novembre 2021, les troupes du Premier ministre Abiy Ahmed pénétraient dans cette région autonome du nord de l’Éthiopie afin d’en déloger les forces du FLPT qui ne cachaient plus leurs velléités sécessionnistes. Depuis la chute du régime du Derg en 1991, le FLPT dirigeait de facto la coalition gouvernementale et jouissait d’un poids démesuré dans l’administration et l’armée et ce malgré le faible poids démographique des Tigréens (6% de la population).

L’élection en 2018 d’Abiy Ahmed est vécue comme une menace pour le FLPT non seulement en raison de sa libéralisation du très autoritaire régime éthiopien mais également pour sa volonté de centraliser le gouvernement, à rebours du fragile équilibre régissant les rapports entre les différents groupes ethno-militaires qui avaient pris le pouvoir en 1991.

Après deux ans de conflit, la situation apparaît de plus en plus tendue pour le gouvernement central. Les troupes tigréennes, aguerries et bien équipées ont repoussé l’armée fédérale en dehors du Tigré et ont enclenché une contre-offensive qui menace désormais la capitale Addis-Abeba. De manière significative, le FLPT s’est trouvé un allié en l’Armée de libération oromo (ALO), région qui enserre la capitale. Cette alliance laisse supposer que les dirigeants tigréens cherchent à faire chuter le gouvernement et préparent déjà l’après-Ahmed en nouant une alliance politique avec un mouvement issu de la plus grande ethnie du pays, celle dont Abiy Ahmed est justement issue. Le FLPT pourrait alors être tenté de refermer la parenthèse Ahmed pour revenir à un fonctionnement « fédéraliste » et autoritaire de l’Éthiopie, basée sur la prééminence de groupes périphériques et minoritaires assurés de conserver un accès privilégié aux ressources de l’État central.

Le conflit qui a déjà fait plus de 10 000 victimes s’apparente à un désastre militaire pour l’armée fédérale. La communauté internationale a dénoncé les atteintes aux droits de l’Homme et les crimes de guerre commis par les deux camps dans ce qui apparaît comme le conflit le plus violent de la planète. Les risques sont nombreux pour l’Éthiopie comme pour la corne de l’Afrique. Si la balkanisation du verrou militaire de la région se confirme, on risque d’assister, outre des scènes d’épuration ethnique – de nombreux observateurs étrangers notent l’émergence d’appels au génocide des Tigréens parmi la population d’Addis-Abeba désormais armée et sous couvre-feu – à une déstabilisation de tout l’est-africain. Ainsi en est-il de la frontière Éthiopie-Érythrée menacée par le conflit alors que les deux États avaient réussi à négocier la paix en 2019. Une action qui avait valu à Abiy Ahmed le Prix Nobel de la paix.