Patricia Lemarchand est médecin (pneumologue) au CHU de Nantes, enseignant-chercheure en biologie cellulaire à l’Université de Nantes.

NLA : J’imagine que tu es très occupée en ce moment. Je te remercie donc particulièrement de prendre le temps de cet entretien pour « Les Nouvelles de Loire-Atlantique »...
Patricia : Je suis effectivement très prise, mais pas en «première ligne» : je travaille à la cellule de surveillance médicale par téléphone des patients covid+ qui sont sortis de l’hôpital ou qui n’ont pas été hospitalisés. Par ailleurs, nous sommes déjà en train de préparer la réouverture (partielle) des laboratoires de recherche à partir du 11 mai prochain.

NLA : En remontant quelque peu dans le temps, peux-tu nous dire quels ont été pour toi, pour l’hôpital, les changements apportés par la crise du coronavirus ?
Patricia : Sur une dizaine de jours, l’hôpital a été redirigé vers l’accueil quasi-exclusif des patients covid. Il a donc fallu reporter ce qui était considéré comme «non urgent» pour recevoir des patients covid, arrivés en fait plus tard et moins nombreux qu’ailleurs. De mon côté, j’ai annulé un grand nombre de consultations prévues - certains rendez-vous d’ailleurs étant annulés par les patients eux-mêmes - et fait des consultations par téléphone. Puis je me suis portée volontaire pour participer à la cellule de surveillance dédiée au covid afin de suivre l’évolution des patients qui ont été hospitalisés. Cette cellule est la reprise d’une structure qui a été mise en place à Paris pour des dizaines de milliers de personnes, puis à Rennes.

NLA : Et à Nantes ? En quoi consiste le travail de cette cellule ?
Patricia : Cette cellule, en relais par demi-journées, suit une centaine de personnes. Ces personnes remplissent un questionnaire tous les jours, qui, en fonction des réponses, déclenchent des alertes à la cellule. Elles sont alors contactées par des étudiants en médecine ou par un médecin, en fonction de la gravité de l’alerte, pour leur donner des conseils sur leur suivi médical, par exemple celui de revoir leur médecin traitant dans la journée s’il y a un signal d’alerte. Cette cellule suit aussi les membres du personnel hospitalier qui ont été contaminés - la presse parle de 105 soignants testés positifs depuis 3 semaines, le nombre est sans doute sous-estimé car les tests chez les soignants n’ont commencé que récemment et seuls 455 soignants ont été testés.
Ce travail nous a permis de bien surveiller médicalement les patients en période d’aggravation de leur état de santé à Jour 6-10 du début des symptômes, et d’envisager une sortie rapide de patients hospitalisés en cas d’augmentation importante du nombre de cas, ce qui n’a pas été nécessaire à Nantes pour l’instant.

NLA : Le personnel hospitalier a tiré, ces dernières années, de nombreuses sonnettes d’alarmes sans être entendu. Y a-t’il eu une prise de conscience, de la part des pouvoirs publics, quant aux besoins matériels et humains à déployer ?
Patricia : Il y a de réels efforts faits actuellement, et nous obtenons ce dont nous avons besoin pour la filière covid, mais avec un bémol cependant : dans mon labo, il nous a bien été demandé de faire remonter les besoins en équipements de protection individuelle (masques, gel hydroalcoolique), tout en nous signifiant que ce qui nous aura été attribué sera pris sur les crédits de recherche. Enfin, nous connaissons à Nantes comme ailleurs une pénurie de masques FFP2 (réservés aux médecins des unités de soin covid), de masques chirurgicaux (réservés aux personnels en direct avec le «public», c’est à dire les patients non covid), nous utilisons donc des masques en papier, inconfortables, il manque également de blouses, des tabliers et il y a des restrictions sur les médicaments.
Ceci ne rend donc pas nécessairement très optimiste...

NLA : Comment vois-tu les semaines qui viennent, notamment avec le début du déconfinement ?
Patricia : Le nombre de patients diminue, mais l’activité ne reprendra que progressivement. Nous nous attendons à une deuxième vague possible. Il ne faudra donc pas relâcher une certaine discipline, maintenir tous les gestes-barrière. Encore faudra-t-il qu’on nous en donne les moyens !